prologue
1
. Quand vint mon premier jour, j’étais bras ouverts, les yeux scintillants d’images, des cailloux multicolores plein les mains.
. Pour le monde source de rire, je suis bercé par deux sourires : ô mon premier jour, mon premier rire, proche écho de deux rires !
. Ô mon premier jour, tu as nostalgie de jours passés, neuf mois de rires t’ont annoncé ! Demain saurai-je encore quelle merveille est le jour ?
. Le monde est plaisir, je l’ai senti bien vite, déjà choses et couleurs donnent à rire et nous inspirent.
. Quand on demande « d’où viennent les enfants », tout le monde rit : il semble bon de songer à l’origine du monde. Timidement, en rougissant on nous dit : « pour qu’enfant vienne, il faut amour et plaisir ».
. Ô mes amis, qui discourt sur la vie, prêtez-lui foi s’il en sourit !
2
. Voici le jour, voici les images et les mots.
. Où naît enfant, parole naît aussi : en chacun se prolonge une parole naissante. La sais-tu, mon ami, sais-tu encore ta parole naissante ?
. Ô monde nouveau des mots, de ta découverte aurons-nous souvenir, saurons-nous demain encore ces mondes en devenir ? D’une idée il fait si bon se souvenir.
. Le soleil se lève, tant nous avons à nous dire : toutes choses se veulent parlées, veulent pousser les cris du nouveau-né ! Qui voit le jour, qui vient au monde sans y mettre son mot ?
3
. Quand enfant vient au monde, sur la vie est posée une pierre nouvelle. Mettre enfant au monde, c’est poser haut une pierre et s’y accrocher, c’est poser pierre par-dessus nos têtes pour un jour y marcher ! Pour surmonter femmes, hommes et toutes choses au monde, pour cela viennent au monde les enfants.
. La nouvelle pierre, posons-la doucement, prenons garde qu’elle ne soit la dernière. Déjà une pierre fut mal posée, et fit s’écrouler l’édifice.
. Allons doucement, sous nos pieds la première pierre peut se cacher ! Quand à terre nous faisons chemin, qui songe à toucher le sol des mains ?
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¤ la malice solaire
. Ô Soleil, rai de lumière, tu nous tiens chaud, sans dire mot. Quand serons-nous lumineux assez pour te parler ?
. Ô Soleil, ce matin étais-ce toi qui m’éveillais, posant la main sur mon épaule ? Quand tu me surpris, j’eus l’audace de parler en premier !
. Ô Soleil, image prodigue, à toi vont nos idées et nos plus beaux mots, nous attendons réponse depuis longtemps. Nous ressentons de lumière assez pour te parler.
. C’est bien ta malice, ô Soleil, que toujours te prodigues, sans dire mot. Des plus lumineux soleils, voici la malice : ils gardent pudeur devant les meilleurs compliments !
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¤ le mariage et l’amour
. Les grandes choses s’en vont lentement par de minces sentiers : il est grandeur jusqu’en les petites choses, et quel géant se montre empressé ?
. Par les minces chemins nous cherchions une source claire, de repos et d’âme soeur étions en quête. La bonne fortune se fait désirer, il la faut mériter, et à tant marcher nous sommes rencontrés.
. Quand tu me dis « je t’aimes », c’est un nouveau mariage, et chaque jour nouvelle union : mon amour, ô combien nous sommes mariés ! Mes lèvres tremblent, mon amour, sommes-nous proches assez ?
. Ici nous sommes un jour mariés, dans cette forêt nous sommes embrassés. Notre parole d’amour l’avons chuchotée, seuls arbres et rochers purent écouter.
. » Je serai là dans les joies comme dans les peines, nous trouverons abri si un torrent nous prend », voilà notre serment. Quand tu me dis « je t’aimes », qui d’autre l’entend, quel dieu viendrait célébrer notre union ?
. Notre vertu, la portons au talon : savoir où mettre pied, voilà bien notre questionnement. Mon amour, à la Terre restons fidèles, où le pas est ferme : ne posons pieds sur le bois mort et les pierres lisses.
. Il est un paradis sur Terre, à marcher ensembles et s’éjouir : ne suivons les pas qui de paradis célestes sont en quête. Au temple, on nous dit : soyez chastes, vous irez au paradis : qu’importe le ciel, ma chérie, aimons-nous ici !
. Nous étions perdus quand nous sommes rencontrés, et si ensemble avons chemin dur encore, qu’importent les embûches, qu’importe la pente ! Comment l’amour mènerait calme et plat chemin ? Mon amour, à deux plus le pas ne coûte !
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¤ le calvaire des amants trompés
. Il est un chemin près de la rivière et des oiseaux, où le monde chante ses amours, me rassure et m’inspire.
Ici on aime s’asseoir, mais une dame toujours reste seule à l’écart. Je lui demandais : « pourquoi auprès des hommes ne vas-tu t’asseoir ? », elle me répondit :
. – Tu est bien jeune, quant aux hommes tu ne sais rien encore. Comment les approcher ? Ils ont mauvaises manières, jusqu’en leur intimité. Oh, laisse-moi te raconter comme l’amour m’a trompée.
. Pour commencer, on se montre en société : il faut aller danser, dîner, avec bonne chère et bon vin s’attabler. Il faut se montrer, pour flatter l’homme que vous accompagnez.
. A table déjà, les hommes veulent nombreux plats, jusqu’en votre assiette portant mains et couverts. Quand un parfum leur vient, ils partent déjà ailleurs mettre le nez ! Aller de table en table se servir, c’est manière d’homme qui chez les dames cherche son plaisir.
. Femme en leur couche, on lui demande : ogresse, que me veux-tu, comment satisfaire tes appétits ? Mais femme en leur main est cause perdue, on ne lui parle déjà plus !
. Devant les hommes me suis couchée, pour leur orgueil et leur bon plaisir. Devant les hommes me suis allongée, auprès d’eux plus ne peux m’asseoir ni parler.
. Si chez les hommes il est grand péril, auprès d’un seul cela est bien pire. Quel homme aurait du coeur ? Ils n’ont pas même de seins !
. Les amours d’hommes sont viles tripotages, cuisines et sauces mélangées. On ne m’y prendra plus à être tripotée et fourrée, c’est juré ! Parole de femme que l’amour a trompée.
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¤ les poètes
. Voici le jour, un oeil s’ouvre et cligne fort : c’est le jour, quand toutes choses s’éveillent et pèsent encore.
. Les oiseaux même doivent encore marcher, et sur les arbres reposer ! C’est le jour, le nouvel éveil, pour toutes sortes de plumes et d’ailes.
. Dans la forêt allons marcher, du bruissement des arbres soyons coutumiers. Si les oiseaux se fondent dans les arbres diaprés, les idées aussi se veulent charmer !
. Oyez, tambours et troubadours, oyez, faiseurs de bruits et de nouvelles. Soyez à votre aise, tournez en rond, criez tant que vous voudrez, et si près de vous on ne demeure, veuillez le pardonner. C’est au silence que toujours nous allons : pour nos yeux et nos oreilles, le son de la flûte, le vol d’un oiseau sont d’impérieux aiguillons.
. Quand nous vient une idée, un passereau près de nous s’est posé : cherchons sans nous agiter, il pourrait s’envoler.
Il fait bon ici marcher, et en chemin nous ramassions une clé :
. – Holà, dans la forêt qui porte une clef ? Ici nul besoin de clef, dans la forêt il n’est de chasse gardée ! A ces mots un oiseau osa approcher.
. Enfin te voilà, bel oiseau, belle idée : apporte paysages à notre journée, en toi demeurent encore tes voyages parmi mers et vallées ! Et dis-moi, que sont ces prudences pour nous approcher ?
. – En ma prudence il est de la crainte, tu le sais : c’est qu’un jour les poètes j’ai rencontrés. Autrefois vivaient en communauté les dames et les hommes, les oiseaux et les idées : malheur, un jour les poètes sont arrivés.
. Ah, ces poètes, il ne veulent choses mûres et bien éveillées : les poètes ne peuvent attendre le dîner, entre amis s’asseoir et manger, en une douce soirée.
. Quand vient le jour, l’éveil des oiseaux et des idées, les poètes nous veulent attraper, ce sont bêtes enragées.
. C’est chose légère, une image ou une idée : garde-la au chaud sans crier. Ce sont choses légères, amour et amitié : si tu me cours après, bien avant l’heure je m’envolerai !
. Au matin, il n’est qu’à marcher et chanter : bel oiseau, belle idée, nous sommes proches parents, tu l’a deviné !
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¤ la malice des sirènes
. Quand vient l’hiver, de curieuses sirènes habitent la mer; froides sont les vagues de leur aimable chant lointain. Auprès du rivage oserai-je marcher ?
. Tu es si grande, ô mer, et te prodigues tant : sois donc froide, sache pour un temps me délaisser ! Ô sirène, où serait le plaisir si tu donnais faveur en chaque journée ?
. » Le temps d’un hiver sache patienter, je te serai bien mieux disposée « . A chaque chose sa saison, ainsi me parle la mer : prenons le fruit quand en vient la saison.
. » Dans la mer gelée veux-tu mettre le pied ? Mon bon ami, tu sembles bien empressé : ici plus d’un se gela chair, et tempêta les merveilleuses sirènes ! »
. Il est une envie de dureté, dans le froid il est une volupté qui à toi m’appelle, ô sirène ! En ta réserve il est grande malice, je le sais : pour mieux me tenter tu me fais patienter ! Ô sirène, mon audace sera-t-elle assez pour te réchauffer ?
. Ô sirène, ma chair est lisse pierre, depuis peu me suis détaché du rocher. Prend-moi et pousse-moi, sois sans crainte ! Jetant pierre à la mer, qui douterait de sa dureté ?
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¤ les feuilles d’or
. Dans la forêt, des crevasses séparent les bêtes sauvages; chez nous, mes amis, se trouvent des murs. Où sont les murs s’arrêtent les regards, et plus lumière ne passe : où sont les murs, plus rien ne vit !
. Sur le mur du château je vois seulement les fenêtres, où passe le jour. Regarde les beaux vêtements brodés, il n’y est que les yeux qui vivent ! Nos vêtements parleront-ils à notre place, veux-tu que tes poches te remplacent ?
. Holà, dans le château irons-nous loger, à l’ombre de fenêtres murées ? Voilà riche tombeau, en vérité ! Hélas, au temple les égarés courent encore se réfugier : pour les vices c’est belle ceinture de chasteté !
. » Pourquoi dans l’ombre sommes-nous réfugiés, se demandent les hommes, n’est-ce que d’amour trop grand nous aimions la lumière ? Ainsi nous somme brûlés les yeux, et devînmes faiseurs d’ombre et poètes.
. » L’aveuglé qui ne peut bâtir un mur, puisse-t-il creuser des trous et, vides, les reboucher : pour qui se veut employer ne manquent les métiers, et des mieux rémunérés « , ainsi parlent les hommes, et ils clignent de l’oeil.
. » Un livre sans plis jamais ne fut lu, un vêtement sans plis, personne n’y vit ! Sachez qu’à la noblesse, les mains sont assez « , nous dit un enfant, tenant une flûte et un livre. Ouvrant sa besace il trouvait de l’or, et ne voulut même y toucher !
. Ce matin, depuis la petite chambre nous regardions au dehors : plus chère nous fut la vie que l’or ! Ô les amis qui partagez la chambre, vous laissez toutes lumières passer : ainsi nous viennent des ailes, quand se reposent nos yeux et nos oreilles.
. N’est-ce folie de vivre en un monde muré, ô mes amis ! quel cachot serait notre lot ?
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¤ les vertus divines
. Après ces voyages et ces rencontres, nous cherchons toujours l’origine du monde. Ô monde, ô fleuve sacré, nous laisseras-tu remonter à tes sources ?
. Un ange descendit du ciel, nous demandant ceci : « Le savez-vous, ô mes amis, savez-vous si dieu existe? ». Jusqu’au ciel on se le demande : cela montre que le doute est vertu divine.
. Si un dieu créa le monde, faisant danser lumières et eaux, chacun de nos rires porte encore belle part de création. Si un dieu posa ciel par-dessus mer, et sur les montagnes répandit arbres et oiseaux, nous saluant il prit congé, quand terres et eaux surent bien danser.
. Pour un dieu, sept jours sont bien assez, il pouvait bien aller vaquer : dieu veut créer de nouveaux mondes, et donner mieux encore que la terre et l’eau ! Quel dieu resterait en son monde, à le regarder : en son monde comment se pourrait-il garder ?
. » La terre, quel beau jardin ! dit un dieu de passage, ce matin : et si haut que l’arbre ait poussé, bien au-dessus mon nid sera posé ! » Encore et toujours se surmonter, c’est vertu divine.
. Quand on se demande si dieu existe, lui se demande si la Terre existe ! Très haut dans le ciel, ayant tous loisirs de mondes, un dieu parfois songe à nous.
. Qui sait si dieu existe, en sa grandeur quel dieu même se reconnaît démiurge ? Car la modestie aussi est vertu divine !
. Sur Terre il est besoin de fête, un envoyé doit porter la bonne nouvelle : le voici devant nous, jouant de la flûte, le voilà encore, nous invitant au jeu d’échecs. Ce rédempteur, qui l’attendrait mille ans ?
. Songer à dieu et au paradis nous détourne de la vie, et qui mieux que le diable s’entend à gâter la vie ? En vérité, le discours sur dieu est d’inspiration diabolique !
. Il est de grandes choses à créer, et la prière est meurtre de pensée ! Prier porte malheur, c’est le premier péché : bénies soient les âmes qui aiment trop dieu pour prier !